Le slogan « sauvons les abeilles » est partout: sur des chandails, des tasses et même des décorations de jardin en forme d’abeille. L’expression a été utilisée pour la première fois au début des années 2000, au moment où l’on apprenait la perte dévastatrice de colonies d’abeilles à miel en Amérique du Nord. Depuis, elle est devenue une sorte de mantra pour ceux qui s’inquiètent de la situation critique des pollinisateurs.
C’est là une phrase accrocheuse derrière laquelle tout le monde peut se ranger, et elle est devenue inextricablement liée à la mise en lumière sur la problématique entourant les abeilles au cours des 20 dernières années.
Même si « sauvons les abeilles » est un cri de ralliement important pour le mouvement de protection des pollinisateurs, vous serez peut-être surpris de constater que nous ne l’utilisons pas, chez Alvéole. Bien que nous soutenions de tout cœur la sauvegarde des populations d’abeilles, nous nous devons de remettre en question l’utilisation de ce slogan un peu simpliste dans le domaine de l’apiculture urbaine.
QUELLES ABEILLES DOIT-ON SAUVER?
La question importante à se poser est plutôt : « quelles abeilles doivent être sauvées? ». Le monde est riche en pollinisateurs, et si presque tous sont confrontés à des difficultés et à une crise sans précédent, la forme et la gravité de leurs menaces varient, tout comme les solutions.
Saviez-vous que notre planète abrite plus de 20 000 espèces d’abeilles? Chaque espèce a sa spécificité et joue un rôle vital dans son écosystème d’origine. Certaines de ces abeilles ne se retrouvent qu’en petit nombre dans des endroits très nichés du globe, tandis que d’autres sont présentes en grand nombre dans de vastes étendues… Et vous les côtoyez probablement beaucoup plus quotidiennement que vous ne le pensez.
LES ABEILLES À MIEL NE SONT QUE LA POINTE DE L’ICEBERG
L’abeille à miel européenne (l’espèce que l’on trouve dans les ruches des apiculteurs, y compris les nôtres) n’est qu’une des 20 000 espèces d’abeilles de notre planète, mais c’est celle qui retient le plus l’attention.
Les abeilles à miel se distinguent des autres insectes grâce à leur capacité à produire de grandes quantités de miel, tout en vivant au sein de colonies massives, sociales et faciles à domestiquer. La plupart des autres abeilles mènent une vie solitaire ou semi-sociale, construisant des nids individuels et discrets pour leur progéniture dans des tiges de plantes creuses ou des tunnels souterrains. Elles n’interagissent pratiquement pas avec d’autres abeilles pendant leur courte vie de quelques semaines.
Les abeilles à miel, en revanche, vivent en colonies de milliers d’individus qui ne cessent de croître et se plaisent à visiter inlassablement un large éventail de fleurs, ce qui en fait d’excellentes collaboratrices dans la pollinisation de nos cultures alimentaires. Sans elles, nos systèmes alimentaires dans leurs formes actuelles s’effondreraient.
LA SITUATION CRITIQUE DE L’ABEILLE SAUVAGE
Vu leurs réalités bien différentes, il est normal que les abeilles à miel et les abeilles sauvages soient confrontées à des problématiques distinctes. Pour la plupart des espèces d’abeilles sauvages, les effets des changements climatiques et la perte d’habitat sont les principales causes du déclin des populations. Pour certaines espèces d’abeilles isolées, les changements climatiques ont des répercussions presque instantanées sur les écosystèmes fragiles dans lesquels elles vivent. Ces petites “bulles” abritent une flore et une faune nécessitant des conditions très spécifiques pour survivre.
Au cours des derniers siècles, les espèces végétales envahissantes ont progressivement étouffé la flore indigène d’innombrables régions du monde. Cela entraîne une perte d’habitat pour les pollinisateurs qui dépendent de cette flore indigène pour se nourrir et nicher.
La transformation de nos paysages sauvages pour la production alimentaire et l’urbanisation est une autre cause majeure de la perte d’habitat. De vastes étendues d’espèces florales diverses et d’habitats naturels pour les pollinisateurs ont été transformées en monocultures produisant beaucoup de nourriture pour la consommation humaine, mais très peu de nectar et de pollen, déficience plus souvent qu’autrement liée à un usage massif des pesticides. Des espaces autrefois sauvages ont également été transformés en zones urbaines, sans réelle réflexion concernant l’impact sur l’habitat des pollinisateurs de la région.
Il n’est pas étonnant que nos abeilles sauvages soient en difficulté!
LES ABEILLES À MIEL ONT LEUR PROPRE COMBAT À LIVRER
Les abeilles à miel, quant à elles, ont connu leur propre lot de problèmes, plus particulièrement au cours des 40 dernières années. Grâce à leur nature ingénieuse et flexible ainsi qu’à leur domestication par les humains pouvant leur fournir un supplément de nourriture, ces abeilles à miel n’ont pas été aussi touchées par la perte d’habitat, mais plutôt par une combinaison d’autres facteurs.
L’épidémie à l’origine du mouvement « sauvons les abeilles » ayant aussi fait la une des médias a commencé dans les années 1990, mais a réellement pris de l’ampleur au début des années 2000. Les apiculteurs nord-américains ont commencé à signaler des pertes sans précédent dans leurs colonies et à observer des symptômes jamais observés auparavant.
Tout d’abord, les abeilles à miel ont été touchées par l’apparition massive de l’acarien destructeur varroa. Originaire d’Asie, il se nourrit à la fois d’abeilles en gestation et d’abeilles à miel adultes, leur transmettant également des maladies, et peut passer d’une abeille à l’autre lors du butinage des fleurs. Les abeilles à miel ont également été affectées par les pesticides utilisés sur les cultures qu’elles pollinisent. En particulier par les néonicotinoïdes, dont l’usage a été adopté récemment et qui ont été utilisés à outrance dans nos monocultures industrielles.
Ajoutons à tout cela le fait que les colonies de ces zones rurales souffraient déjà d’un système immunitaire affaibli dû à une alimentation insuffisamment diversifiée lorsqu’elles butinent dans les monocultures… En plus de devoir subir le transport de leurs ruches sur de longues distances, d’une culture à l’autre.
Tous ces facteurs parmi d’autres se sont ainsi combinés pour donner naissance à ce qui est devenu le « syndrome d’effondrement des colonies ».
Lors de l’inspection des colonies – qui étaient en pleine effervescence quelques semaines auparavant – les apiculteurs se butaient à des hausses de ruches remplies de cadavres d’abeilles ouvrières… Ou à des ruches fantômes, abandonnées par les colonies.
C’est cette combinaison inédite de facteurs qui a poussé les apiculteurs au cœur bien lourd à descendre dans la rue, armés de pancartes et de sacs contenant des cadavres d’abeilles ouvrières – une métaphore pour illustrer leurs pertes -, pour protester contre l’utilisation de pesticides et plaider en faveur d’une réglementation visant à sauver les abeilles. Ces efforts auront été fructueux dans plusieurs cas, conduisant à l’interdiction de certains pesticides, au grand bonheur des pollinisateurs.
UNE SOLUTION COMPLIQUÉE À UN PROBLÈME COMPLIQUÉ
Les problèmes causés par nos systèmes alimentaires et de croissance urbaine sont vastes et complexes. Par conséquent, une solution tout aussi complexe est nécessaire.
Un véritable engagement en faveur de la sauvegarde des abeilles doit passer par une réglementation plus stricte du secteur agricole incluant l’utilisation des pesticides, et par une réforme sur notre façon de cultiver ce que l’on mange pour s’éloigner définitivement des monocultures destructrices. La solution pour sauver les abeilles devra également passer par un réaménagement réfléchi de notre paysage urbain afin de refléter les besoins en habitat des pollinisateurs indigènes.
Et cela ne sera possible qu’avec l’aide de gens passionnés qui militent pour le changement, comme nos clients, qui choisissent intentionnellement Alvéole et d’autres partenaires responsables pour les accompagner dans le réaménagement durable de nos espaces urbains.
LE RÔLE DE L’APICULTURE URBAINE DANS LA SAUVEGARDE DES POLLINISATEURS
Sauver les abeilles n’est pas une mince affaire. Les systèmes alimentaires et écosystèmes naturels de notre belle planète tendent à devenir de plus en plus interreliés, parfois jusqu’à en devenir problématique. De plus, les gens vivant en ville sont en totale rupture de connexion avec la nature, et donc, avec l’origine de leur nourriture. Nous devons reconstruire ce pont, cette relation. L’introduction d’une ruche d’abeilles à miel est un bon véhicule pour semer les graines de cette connexion, mais il ne s’agit pas d’une solution à part entière.
L’apiculture urbaine peut, entre autres, prêter main forte aux autres pollinisateurs locaux via l’intermédiaire de la biosurveillance. Des échantillons de miel et de pollen prélevés dans les ruchers urbains peuvent nous donner une idée incroyablement précise de la flore entourant votre immeuble, de quels pollinisateurs ces plantes soutiennent, et de quelles espèces devraient être introduites pour améliorer la qualité de votre paysage urbain.
Les abeilles à miel urbaines jouent un certain rôle dans la pollinisation d’une flore diversifiée en ville, mais nous pensons que le rôle le plus important qu’elles jouent est celui d’ambassadrices du changement. Une seule ruche d’abeilles à miel sur le toit d’un immeuble en ville peut atteindre des centaines de gens. L’éducation et incidemment la portée qu’ont vos locataires peuvent mener à plusieurs actions positives, tant localement que globalement, et ainsi augmenter la sensibilisation envers les projets liés plus directement à la préservation des populations de pollinisateurs.
Même si l’installation d’une ruche d’abeilles à miel en milieu urbain n’est pas une solution magique en soi, elle peut quand même constituer une étape importante dans une démarche plus vaste. Les abeilles à miel inspirent les citadins à voir notre environnement urbain et nos systèmes alimentaires d’une autre perspective, grâce à notre mission éducative. Grâce à elles, nous pouvons inspirer les gens et favoriser la connexion à la nature en milieu urbain.
Chez Alvéole, nous croyons que les abeilles sont des ambassadrices extraordinaires pour la nature de manière plus globale. En bout de ligne, nous protégeons ce que nous aimons, et il est difficile de ne pas s’éprendre des abeilles lorsqu’on apprend à les connaître.